Le roman:
L'héritière des Fajoux a été publié par les éditions Calmann-Lévy, dans la collection France de toujours et d'aujourd'hui, en 2017. Sylvie Baron écrit dans une langue chantante et sensuelle, à l'image des torrents qui dévalent les montagnes de son cher Cantal: "Dans l'atelier, les rayons du soleil se reflétaient furtivement sur la lame de la scie avant que celle-ci ne disparaisse, sous l'effet de la vitesse, dans un éclaboussement de sciure dorée au cœur du billon de bois."(Page 61)..."La fraîcheur nocturne avait chassé la brume. Le ciel orgueilleux de l'Aubrac crépitait d'étoiles pointues qui enveloppaient le soir d'une écharpe de lumière." (Page 184). La construction du roman, dont de nombreuses scènes sont évoquées après coup, entretiennent le suspense...et la frustration du lecteur qui doit patienter un certain nombre de pages pour accéder à la suite d'une partie de l'intrigue. L'histoire est racontée du point de vue du personnage principal, Marie, dont les pensées sont transcrites en italique. Chaque roman de Sylvie Baron permet de défendre une cause qui semble perdue mais légitime, de se battre contre la disparition de nos traditions, d'un monde, peut-être pas meilleur, mais moins vénal, plus en adéquation avec la nature, des valeurs humaines que nous devons défendre de toutes nos forces. Ici, c'est le combat d'une petite scierie artisanale contre une grosse machine de guerre qui dévore tout sur son passage, hommes, forêts, convictions, transmission d'un héritage qui revêt une signification, qui a du sens...
L'intrigue:
Suite à l'accident qui a coûté la vie de son père, propriétaire d'une petite scierie dans l'Aubrac, Marie, qui vient de passer vingt ans au Québec avec Gilles, père de sa fille dont elle vient de se séparer, décide de revenir au pays et de relever le grand défi qui l'attend: reprendre la direction de la scierie paternelle. L'occasion pour elle de recentrer sa vie et de faire le point sur la suite à donner à la trahison de Gilles. Pourtant, cette nouvelle vie s'annonce plus complexe à mettre en place qu'elle ne le pensait au départ, mais Marie va découvrir en elle des ressources insoupçonnées: "La nouvelle Marie, heureusement, avait tout de suite repris le dessus. Tout s'écroulait pourtant autour d'elle, n'ayant aucune idée de ce qu'elle allait faire, de ce qu'il fallait faire." (Page 20), ressources dont elle aura grand besoin pour affronter la tempête qui na heurter la scierie de plein fouet: perte de clients, matériel trop vieux, méfiance des ouvriers à l'égard d'une femme patronne, rendement insuffisant. C'est dans cette ambiance électrique que Marie commence à nourrir des soupçons quant à la cause du décès de son père: et si la mort du vieil homme n'était pas accidentelle? Qui est l'auteur des cercueils miniatures qu'elle reçoit? Qui est la mystérieuse Louise? Trop de questions restées sans réponse. Mais Marie veut en avoir le cœur net et mène sa propre enquête...à ses risques et périls...
En conclusion:
Le +: cette façon bien à elle de planter le décor, comme un peintre: un lieu ici, un personnage là, un souvenir en fond, une réflexion ou une pensée en premier plan. Un roman à la forte personnalité, qui vous enchantera ou vous transportera, vous intriguera ou vous fera vous interroger, mais ne vous laissera certainement pas indifférent. Ce que j'apprécie avec Sylvie Baron est qu'elle ne juge pas; elle montre les deux aspects d'un sujet, le pour et le contre, laissant la place à chacun d'exprimer son opinion et de la défendre, même si cette dernière va à l'encontre de ses propres convictions. Je vous laisse découvrir, pour ceux qui ne la connaissent pas encore, la plume sensuelle et captivante de Sylvie Baron, ses personnages, son intrigue bien ficelée, son discours vibrant d'émotion et de valeurs humaines puissantes.
Citations:
"Etre son propre maître n'a pas de prix! On se crève quand on veut, on s'arrête de besogner quand on veut, on repart de même. On vit à sa convenance sans avoir à fournir des explications sur le moindre de ses gestes..."(Page 41). "Après avoir perdu tant d'heures sans intérêt pour faire semblant de communiquer avec son réseau d'amis, elle réalisait aujourd'hui que la vraie communication ne nécessitait aucun support." (Page 47). "Les machines automatiques s'étaient installées progressivement dans leur univers, réduisant au minimum la manutention et avec elle les blessures, les accidents et les douleurs lombaires. Ils n'en éprouvaient aucune reconnaissance. Certains semblaient presque le regretter...Manuelle ou automatisée, la scierie se nourrissait toujours du travail intense des hommes. Le métier ne changeait pas tant que cela au fond, l'amour du bois restait bien le même." (Page 54). "Quand je vois la façon dont mes parents regardent les petits, c'est un bonheur qui vaut tous les cadeaux du monde. Et puis je suis ainsi faite! Je n'aimerais pas les savoir loin, n'avoir d'eux qu'une image édulcorée, forcément décalée, ne rien partager de leur fatigue, de leurs ennuis, de leurs joies. J'aurais l'impression de manquer des choses essentielles." (Page 102). "Maintenant je sais que l'arbre peut mourir aussi, la fore^t se renouvelle quand même. Comme nous, tout simplement, nous existons au-delà du temps, sans début ni fin. La vie se transforme mais ne meurt jamais."(Page 175).
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